[Déplacé depuis La Campagne] [Aventure] L'heure des Premiers Brasiers

J'avise la première rue vide possible, et tente de m'en approcher pour quitter la foule, après avoir fait signe à mes compagnons.

M'adressant à Korail et Gabriel:

"Sommes nous vraiment obligés de passer par cette rue? En plus de ne pas être évident de circuler avec les chevaux, je n'ai pas envie qu'un passant se retrouve avec un sabot sur le pied."

Tandis qu'il manœuvre son cheval avec peine, le docteur est approché par un solide gaillard, dans la trentaine, le visage poupin, il a l'air préoccupé.

Pardon monsieur, ça va bientôt s'allumer, il vaut mieux faire partir ces chevaux.

Sur votre gauche, la tour de garde étend son ombre presque parallèlement à la grande rue. Le quartier des industries semble plus calme, l'allée que vous venez de quitter est certainement moins animée que cette avenue bourdonnante d'activité.

La place devant vous voit surtout les gens s'entasser pour tenter de remonter la grande rue. Pour autant qu'on peut en juger, il n'y a qu'un rideau de gens puis la place est plus calme jusqu'à la porte qui a aussi sa part d'agitation.

La grande rue est surtout composée de bâtiments imposants, maisons bourgeoises ou d'aristocrates, hôtels de maître, administrations, toutes imposantes. Les façades sont hautes, décorées, elles se donnent en spectacle. De nombreuses maisons sont ceintes d'un mur qui délimite leur cour, la plupart du temps de l'autre côté de la rue. Des grilles viennent fermer ces entrées secondaires qui permettent aux voitures de circuler.

Quelques rues bien dessinées semblent visible derrière vous, la plus proche étant celle que vous venez de quitter.

Le soleil continue de descendre. Pendant que le docteur manœuvre son cheval, celui-ci tourne la tête vers l'étalon de la jeune fille. Des gens essayent de s'écarter, ajoutant encore du mouvement à la foule...

Oui, effectivement... Merci du conseil, monsieur.

Je tente de regagner la rue que nous venons de quitter, tentant de ne pas me laisser envahir par la peur que mon cheval piétine quelqu'un.

Je continue d'avancer derrière Korail.

Alerté par le changement de tonalité et de proximité dans les grognements de la populace, et par ce qui s'est dit derrière moi qui s'est enfin frayé en chemin depuis l'oreille, je me retourne brusquement, une main au-dessus des yeux en vigie:
"Hein ? Mais non mais il fait demi-tour alors qu'on y est presque et que je me démène pour ça ! HEY ! Arrête de faire n'importe quoi et allons jusqu'au bout de notre voie ensemble, veux-tu ?"
Crié-je à l'attention du docteur qui entame sans doute douloureusement sa manoeuvre pour retourner dans la rue qui mène à la tour. Puis je reviens à mon brise-glace en grommelant dans ma b... euh, mon masque quoi.

Hein ?! Ah, oui, essayons...

Je n'ai clairement pas l'air rassuré... Mais je continue à suivre Korail.

Suivant jusque-là la voie ouverte par Korail, le laissant nous guider mais prêt à lui indiquer le chemin s'il se trompe, je réponds à la jeune fille par dessus le brouhaha ambiant :

"Il est certes possible d'éviter les rues passantes - je l'ai fait en compagnie de Korail pas plus tard qu'aujourd'hui même. Mais avec la nuit qui tombe, quitter la foule pour prendre un dédale de ruelles ou pourraient se cacher d'autres légumes carnivores serait sans doute quelque peu risqué, ne croyez vous pas ?

Mené par son conducteur erratique, le cheval du docteur fait deux larges écarts à travers la foule. Quelques personnes se reculent rapidement. L'homme qui s'était approché du docteur pousse un bref cri: Eh, attention!

Le rythme des cloches se fait plus rapide dans le crépuscule qui s'est à présent installé. La foule semble attirée vers le centre de la ville, les têtes se tournent et ceux qui ne sont pas installés se pressent vers le centre. La progression du masque se fait plus difficile, sans parler de celle de ses compagnons. Le cheval du docteur dresse les oreilles et retourne la tête. Une lueur diffuse nimbe le haut de la rue. Le cheval piaffe.

Le masque se retrouve devant un courant de gens qui tentent de remonter dans la direction directement opposée. La jeune fille et le peintre discutent, la jeune fille semble hésiter un instant. Le crépuscule s'assombrit rapidement, bleu foncé, il recouvre un instant la ville. De la fumée blanche et lourde couronne déjà le haut de la rue, faisant rougeoyer la place comme si une flaque de lumière pulsait sous le nuage. Les cloches s'accélèrent de plus en plus.

Le cheval du docteur a un mouvement d'arrêt. Il tape le pied sur le sol. La foule compacte cherche à s'écarter mais le serre de près. Il s'ébroue, on sent monter la peur...

Alors, tandis que les cloches deviennent frénétiques, les flammes qui embrasent la place se répandent de place en place. On brandit des bougies, on sort des flambeaux, une langue de feu descend la rue.

Je tire un peu plus sur les rênes de mon cheval pour essayer de le faire avancer, en jetant un regard inquiet, au bord de la panique, derrière moi.

Chacun essaye d'allumer son flambeau à une autre flamme et le feu passe rapidement de place en place. La lumière éclate, roule et repousse la nuit qui ne trouve pas le temps de s'installer.

Le docteur tente de maîtriser son cheval. Celui-ci panique en voyant toute cette clarté, tout ce feu. Il plante sur ses pattes arrières, tourne frénétiquement la tête et, ne voyant pas d'issue, pousse une sorte de glapissement apeuré. Il se ramasse, prêt à ruer pour se frayer un chemin. La longe échappe des mains du médecin.

"Fury, reste ici et sois sage."

Je lâche la bride de ma monture et me précipite vers Carotte quitte à bousculer quelques personnes non sans jeter un rapide coup d'oeil derrière moi pour m'assurer que Fury ne panique pas face aux flammes et reste immobile.

je maudit le capitaine:"Quelle idée de nous avoir fait sortir à cette heure-ci. Ce maudit capitaine aurait pu nous prévenir qu'une procession se préparait dans cette rue!"

Le grand étalon s'ébroue mais reste étonnamment calme dans l'agitation qui l'entoure.
La jeune fille tente de se retourner mais est prise entre les gens qui refluent pour éviter le cheval du docteur et ceux qui, inconscients du danger, veulent remonter la rue pour allumer leurs propres flambeaux. Elle arrive à peine à faire la moitié du trajet.

Carotte, non!!

Je tente de rattraper la longe pour tourner la tête du cheval dans la direction opposée au feu.

Bousculé de tous les côtés, au point de n'arriver presque plus à avancer, je m'énerve un peu. N'hésitant plus à pousser les gens les uns sur les autres devant moi au risque de les faire trébucher si nécessaire, je murmure pour moi-même, puis crie:

"Mais ils vont nous piétiner ces fous... LAISSEZ PASSER, C'EST UNE URGENCE, VOUS AUREZ VOS FLAMBEAUX APRES, LAIIIIISSEZ PASSEEEER !"

La place rougeoyante m'intriguant, j'essaye de me hausser sur la pointe des pieds pour essayer d'apercevoir l'origine de ce flamboiement.

Le bruyant hennissement d'un cheval m'arrache à ma contemplation. Je me retourne pour chercher l'origine du bruit ; c'est le cheval du docteur qui semble devenir fou !
La jeune fille, quant à elle semble avoir maitrisé le sien et s'apprête à aller prêter main-forte au docteur, à contre-courant de la foule qui cherche à s'éloigner de l'équidé. Je me comprime pour l'aider à passer, puis me retourne vers le masque qui continue à tracer la route en tendant le bras pour l'arrêter.

"Stop ! Faites attention derrière vous, le cheval du docteur renâcle et s'affole, et les deux autres sont partis essayer de le calmer"

Levant un instant les bras, je n'en poursuis pas moins mes invectives:
"VOUS ENTENDEZ L'MONSIEUR, LES BÊTES S'AFFOLENT, ARRÊTEZ-VOUS SI VOUS NE VOULEZ PAS ÊTRE PIETINES !!!"

Le Docteur saisit la longe dans sa main. A ce moment, dans son dos, on commence à crier. Autour du masque, les cris provoquent un début de panique. Le mouvement de foule s'amplifie: certains veulent à tout prix allumer leurs flambeaux. Leur masse comprime et bouscule ceux qui tentent de s'écarter. Carotte dilate ses naseaux, son regard affolé passe du feu qui se rapproche à la meute hurlante qui se mêle devant lui.
Le cheval tente de se dresser sur ses postérieurs, de reprendre la maîtrise du terrain. Le docteur est balloté mais s'accroche.

Pendant ce temps, le grand étalon, avec calme, se déplace comme pour protéger sa maitresse. Faisant un rempart avec son corps face au flux, il se met en travers de la route du mieux qu'il peut.

Profitant du bouclier fournie par Fury, j'essaie toujours de rejoindre le plus rapidement possible la jument.

Je continue de haranguer la masse en la repoussant, espérant que la panique casse l'uniformité du mouvement vers la place et qu'au moins quelques-uns s'écartent ou refluent.

Dans la cohue, la jeune fille se retrouve soudain près de docteur.

Je saisie fermement les rênes de la jument et essaie de la maitriser:

"Tout doux ma belle! tout doux!"