[Déplacé depuis La Campagne] [Aventure] L'heure des Premiers Brasiers

Tandis que le peintre est parti chercher son matériel, une légère collation est servie à Opiter Peltrasius Ulfila, qui invite le masque et la jeune fille à partager les fruits, les biscuits secs et le fromage dur qu'il mange lentement, rincé d'eau et en discutant avec ses invités.

Le peintre revient et s'installe. Les gardes utilisent le matériel contenu dans la petite boîte en bois, des baguettes et des épingles, pour donner une certaine contenance à la créature, sous les conseils de l'artiste et de son commanditaire.

Le temps passe et Opiter Peltrasius Ulfila l'occupe à parler de tout et de rien semble-t-il avec ses hôtes. Un garde apparaît parfois et échange quelques mots avec son supérieur, à voix basse et plus rarement un peu à l'écart. Un moment même, Opiter Peltrasius Ulfila quitte la pièce en s'excusant mais sans explication. Il reprend ensuite la conversation, s'intéressant à vos voyages et semblant prendre un réel intérêt à vos histoires, même si il revient parfois sur certains détails. Il ressemble plus à un marchand bonhomme qu'au chef des forces de l'ordre de la ville, dirait-on en l'écoutant parler.

D'autant qu'il se lève parfois et observe sans commenter le travail du peintre. Il prend soin de préciser quelques détails d'anatomie, les armes naturelles de la créature principalement et ses organes internes, dont il désire des croquis détaillés mas se contente de regarder le dessin avancer sans rien ajouter.

Dans la cave, le docteur obtient lentement une vue d'ensemble de la situation. Le premier mort, celui qui présente le moins de traces sur son corps, fut retrouvé dans la ruelle. Il ne présente que des marques de blessure par ce que le docteur identifie comme les créatures. Les marques localisées sur ses avants-bras semblent indiquer qu'il s'est au moins débattu, si ce n'est battu si l'on en croit les marques profondes au torses qui semblent avoir été infligées avant la mort. Quelques petites morsures semblent post-mortem.
C'est un homme d'âge moyen, entre 35 et 45 ans semble-t-il, assez solide mais il est impossible d'en dire plus sans la tête. Ses mains indiquent un travailleur manuel.

La seconde victime est probablement la femme sans tête. C'est le corps le plus marqué et le docteur a perdu le nombre de ses blessure. On compte au moins une marque de liens très ancienne sur chaque poignet et plus récente aux chevilles. Le bras a été cassé et s'est ressoudé et une ancienne cicatrice de brulure, peut-être une plaie cautérisée brutalement, défigure sa cuisse droite. On compte aussi diverses hématomes, des marques de coups frappés avec un poing ou un objet semi-dur, et des traces dans le dos qui ressemblent à des coups de fouets et qui se confondent avec les lacérations des supposées créatures.
Celles-ci se comptent en trois catégories au moins: les longues lacérations, sur tout le corps en quantité égales, les petites morsures en forme de grosses morsures d'araignées près des veines et les éclatement de peau dans les parties charnues.
Les blessures semblent remonter à plusieurs années pour les plus anciennes et certains hématomes semblent dater de quelques jours, voire quelques heures avant la mort. Il est impossible de dire quand les premières blessures furent portées mais la femme est jeune, sans doute moins de 25 ans et plutôt bien bâtie si on oublie le sinistre tissage qu'est devenu son corps.

La troisième victime est la plus récente. Elle porte elle aussi les marques de fouet des créatures mais elles sont surtout concentrées sur les avant-bras. On trouve aussi quelques morsures mais toutes ces marques, les plus anciennes en tous cas qui peuvent remonter à quelques mois ont été soignées et certainement avec plus de soin que celles de la jeune fille. Quelques blessures récentes sont par contre encore ouvertes et réparties sur tout le corps. Les yeux ont disparu et après une recherche minutieuse, on s'aperçoit qu'un des tympans a été percé avec un objet long jusqu'au cerveau. La blessure est très précise et celui qui l'a faite a du s'approcher très près de sa victime.
L'homme est jeune, environ 28 ans, les traits simples et une coupe de cheveux qui démontrerait le valet de ferme ne seraient-ce les muscles bien dessinés et les cicatrices d'anciens coups de couteau.

Inigo prend note de toutes ces informations.

La lumière devient plus intense, les ombres s'allongent, le jour touche à sa fin et les cloches de la ville se mettent à sonner à toute volée. Opiter Peltrasius Ulfila se lève une fois encore.


Si vous continuez, vous ne verrez bientôt plus rien. Avez-vous terminé votre ouvrage? Je ne voudrais pas avoir à vous retenir.

Dans le sous-sol:

Vous voulez ajouter quelque chose docteur?

La remarque d'Opirter fait sursauter Khôril, fortement concentré sur son ouvrage.

"En effet, le soleil devient bas... "

Je me lève donc, étire quelque peu mes membres endoloris d'être restés si longtemps assis, puis réponds à Opiter :

"Le travail a bien avancé. Voici le portrait détaillé - j'ai laissé de l'espace pour le nom de la créature - qui peut être considéré comme achevé, les croquis partiels ...ici, là et là... sont quant à eux en voie d'achèvement. D'ailleurs, je demanderais au docteur ses lumières afin de légender la plupart des organes ; il pourrait sans doute même être intéressant de le lui faire examiner ce qu'il reste du modèle - peut-être saura-t-il tirer des informations supplémentaires d'une dissection.

Vous aviez aussi demandé une planche plus simple, je m'en chargerai demain, ainsi que toute copie qu'il vous semblera nécéssaire. Je n'aurai pas besoin de la créature originelle, le portrait principal suffira."

Opiter Peltrasius Ulfila contemple longuement les dessins.

Bon, tout ouvrage doit prendre le temps nécessaire. Je vous donnerai un reçu en sortant et vous finirez demain de donner les derniers traits.

Suit une brève conversation sur le travail du peintre.

Après avoir évidemment ordonné le secret sur tous les évènements ayant eu lieu dans la tour sous autorité du guet, et rappelé les lois impériales à ce propos, Opiter Peltrasius Ulfila prend le chemin du pied de la tour, non sans vous avoir invité à le suivre.

"Il commence à se faire tard en effet."

Tout en suivant le capitaine dans les escaliers:

"J'espère que le jeune homme à qui vous avez confié ma monture s'en est bien sortie. C'est que Fury a plutôt mauvais caractère..." Dis-je avec le sourire.

Opiter Peltrasius Ulfila répond aimablement à votre conversation et se laisse même aller à quelques confidences sur le grand age et la puissance de cette forteresse dont l'aérotonon est un très ancien artefact.
Vous descendez rapidement et retrouvez au pied des marches le docteur, remonté il y a peu en compagnie d'Inigo. Opiter Peltrasius Ulfila s'entretient un instant avec les deux hommes, à l'écart. Il réitère pour le docteur ses conseils de discrétion et lui signe une décharge en lui tendant une pièce d'or qui est le prix normal de plusieurs consultations.

Quand à votre véhicule, nous veillerons à vous prévenir quand nous l'aurons rapatriée, si vous me faites savoir dans quel hôtel vous descendez. Malheureusement, il y aura peut-être quelques frais...

Remerciant le docteur, il le raccompagne ensuite vers le registre, faisant signe au groupe de le suivre et remplit les formalités, signant un reçu au peintre et ajoutant quelques mots pour la jeune fille et le masque.

Merci pour votre temps, si j'en juge par notre conversation, vous êtes les bienvenus en ville. Et peut-être qu'à une autre période de l'année, j'aurais de l'ouvrage pour votre masque, et plus d'indulgence pour votre caractère.

Ceci dit, il vous raccompagne vers la porte où attendent vos chevaux.

Alors que la jeune fille sort, elle entoure ses bras autour du cou de sa monture puis se retourne vers le capitaine:

"J'aimerais vous poser une question capitaine si vous le permettez, sur les routes j'ai entendue une rumeur selon lequel l'empire offrait des récompenses pour la chasse des animaux sauvages représentant un danger pour les routes. Est ce vrai?"

Opiter Peltrasius Ulfila sourit.
Ce n'est pas complètement faux, mais tout dépend des proclamations des magistrats locaux. Il y a quelques années, nous avons même payé un temps les queues de rat, si on nous les amenait. Pour l'instant cependant, rien n'est annoncé.

Après avoir opiné de façon absolument mécanique et régulière pendant les précisions de l'artiste et les rappels de loi d'Opiter, et descendu les marches sans plus de commentaire mais plein de dignité, et opiné derechef aux dernières précisions du gradé, je passe la porte en dénouant les mains de mon dos. Etandant les bras et ouvrant les mains comme pour m'étirer dès que la soldatesque immédiate est hors de vue, je soupire:

"Eeeeeeh bien ! Nous voilà sortis du fortin, plus étouffant encore que la poudre des radis... Profitons de respirer l'air du soir en ne se pressant pas plus que de raison, voulez-vous ? Et demandons-nous quoi faire ensuite, au niveau du jardinage comme des festivités..."

Je réplique à Korail d'un ton léger :

"Sans façons pour du jardinage ! Quand aux festivités, n'attendez pas grand chose de joyeux avant la fin de la semaine... Et pour ce qui est de l'air du soir, je propose d'en profiter autour d'une table ; il est à mon avis temps de souper."

Autour de vous, l'heure est encore flamboyante, le soleil embrase le ciel de larges bandes enflammées qui se perdent dans des nuages écarlates. Le ciel répond à la cité qui semble elle aussi flamber tandis que les immenses draperies pourpres dansent dans le vent. Les cloches sonnent à présent lentement, gravement, une note profonde mais pourtant féroce et sans tristesse.

La porte dont vous venez de surgir brise la colonnade qui entoure l'édifice. La rue est assez large. Devant vous, la façade latérale d'un imposant bâtiment, écrasé pourtant par la tour, fait angle avec la grande rue sur votre gauche. Sur votre droite, une série de façade aveugles, sans doute l'arrière de bâtisses, débouchent sur le quartier industriel.

Les passants sont assez rares dans l'allée, quelques enfants semblent jouer dans un coin, quelques adultes sévèrement habillés se hâtent vers la rue principale, certains portent de lourds madrier de bois. La rue principale et ses environs grouille par contre de monde et nombreux sont ceux qui ont trouvé refuge sous les colonnes. Plusieurs vous dévisagent depuis là lorsque vous sortez de la tour.

Je claque des doigts, puis m'exclame, avançant à reculons vers la grande rue :

"Exact ! Je me disais bien qu'il manquait quelque chose à mon programme. Mademoiselle, docteur, vous feriez-nous l'honneur de nous accompagner pour souper ?"

Une fois dans la rue je respire un grand coup puis m'adressant à Camille sur un ton conciliant et amical:


"Vous allez bien Camille? Les choses se sont bien passé pour vous en bas?"

Je sors du silence pour répondre à Kalhan :

Oui, ça va. Merci. Je ne sais pas si l'on peut dire que ça s'est bien passé... Je n'avais jamais rien vu d'aussi horrible. Il semblerait que les créatures que vous avez vu aient fait trois morts, donc deux sans têtes. Et une pauvre femme qui a apparemment subi l'enfer pendant un long moment... Au moins sa mort l'a-t-elle délivrée...

Je fais quelques pas en direction de Korail. J'affiche un air sombre que je tente malgré tout de masquer.

Je ne suis pas sûr d'avoir grand faim, mais je vous accompagnerai tout de même. Peut-être l'appétit me reviendra-t-il d'ici là. Et la bonne humeur de notre compagnon y pourra certainement quelque chose !

Votre petit groupe avance assez rapidement dans la rue. La foule se fait plus dense. Certains vous dévisagent franchement, certains vous jettent un bref coup d'oeil, d'autres ne vous prêtent aucune attention. De petits groupes se forment ici et là.

"Dans la ruelle, j'ai vue le cadavre d'un chat aussi décapité... Mais je n'aurais jamais imaginer que cette créature aurait pu le faire avec un homme...

Je grattouille les oreilles de ma monture qui semble apprécier et avec un petit sourire:"Heureusement que tu est là pour me protéger, n'est ce pas mon bichon?"

Je salue ostensiblement les passants qui me dévisagent et méprise tout aussi superbement ceux qui m'ignorent.

Le compte-rendu du docteur me fait repenser à ce chat étêté, mon imagination remplaçant son corps de félin par celui des badauds que je croise... Je ne peux m'empêcher de frissonner.

"J'espère que le Guet parviendra rapidement à les éliminer."

Je continue d'avancer, la mine un peu sombre...

Voyant la mine sombre de Camille, j'essaie de le décrisper:

"J'espère que vous n'avez pas oublié votre invitation à manger de ce matin."Affichant une moue de petite fille.

Sur la Grand rue, la foule se fait de plus en plus dense si bien que la masse peut à peine se déplacer. Une grande partie se presse vers le centre de la ville, quelques un remontent le courant vers les portes et le reste essaye de se regrouper pour se rassembler devant une façade décorée, une fontaine, un pilier ou un coin de trottoir.

Les gens que le peintre salue lui rendent souvent son geste. Certains regard sont un peu appuyé peut-être mais la plupart sont assez spontanés. Malgré les cloches, l'obscurité qui monte, la solennité de l'instant, la ville a l'air réjouie, en attente.

Rassurez-vous, Kalhan, je ne suis pas du genre à oublier mes manières.

Je m'arrête au bord de la Grand Rue, sans me faire happer par la foule, et me tourne vers Korail et Gabriel :

Nous venons d'arriver en ville, et devons nous en remettre à vous pour trouver notre pitance. Messieurs, nous vous suivons ! , finis-je avec un sourire.

Un peu déçue de pas avoir réussie à décrisper le docteur je m'arrête également au bord de la rue et je vérifie que les fontes de ma montures soit correctement fermées et les resserre un bon coup.

Puis je jette un oeil dans la rue principale cherchant à comment éviter la foule et les potentiels pickpockets.

Posant le poing gauche sur ma hanche et brièvement la main droite ouverte sur le front du masque, je m'étonne:

"Pfiouuuu qu'est-ce que vous vous inquiétez ! Il me semble pourtant aussi vain de se ronger les sangs à propos d'un méli-mélo de chaîne alimentaire humains-légumes à l'heure du souper, que malavisé de le faire à la face d'une foule déjà bien assez angoissée de nous voir si colorés dans leurs rues si sombrement décorées. Hardis, compagnons, fendons la foule sans plus attendre !"

Et je joins le geste à la parole, brandissant le poing en l'air pendant que je me retourne vers la grande rue, pour l'abaisser ensuite et joindre mes mains devant moi, formant une sorte de brise-glace qui crie "Place ! Place !".

Donc si tout se passe bien et que l'on ne me retient pas, je vais ouvrir la voie vers les portes de la ville, puisque la pension dans mon souvenir est à l'extérieur.

Si certains grommellent et que beaucoup s'étonnent de ton passage, la foule essaye de s'écarter plus ou moins. Elle a ses propres mouvements et il est dur de se déplacer sans les suivre. Mais tu arrives à avancer.

Je suis Korail tenant la bride de ma monture et essayant dans la mesure du possible d'éviter de trop gêner les passants et m'excusant par politesse le cas échéant.

Je suis, affichant un sourire aux paroles de Korail, et m'excusant également auprès des personnes que je pourrais bousculer.

La foule, paisible, essaye de s'écarter. En fait, il est plus facile pour le masque d'avancer que pour les chevaux et leurs cavaliers. Sur leur passage, les gens deviennent un peu plus nerveux. On entend quelques cris. "Ecartez-vous!" "Attention Lucius!" Les bêtes sont tendues, mais l'étalon ombrageux semble bien pris en main par sa cavalière et le cheval de trait est plutôt placide.

Tandis que le soleil continue sa course vers les montagnes, on entend une rumeur monter. D'abord indistincte, elle se rapproche de vous. Vous parvenez à comprendre que les chevaux semblent concernés au vu de l'attention qu'ils commencent à attirer.