[Déplacé depuis La Campagne] [Aventure] L'heure des Premiers Brasiers

Après un dernier coup d'œil inquiet au cheval du docteur, je me mets à invectiver la foule afin d'aider Korail à éloigner les passants tout en formulant une courte prière pour que la situation s'apaise rapidement sans nouvel incident.

Je lâche les rênes pour ne pas gêner Kalhan et tente de me reculer un peu.

Je suis désolé, je n'arrive pas à la maîtriser, avec toutes cette agitation !!

Tout en continuant ma manoeuvre vocale, je tente de délester quelques passants de la masse grouillante de leurs flambeaux pas encore allumés. Ca fera toujours ça de moins comme bordel, et si ils s'en rendent compte ils pourraient faire marche arrière pour aller en rechercher.

La rue se remplit rapidement de la lueur de centaines de flambeaux. Le cheval du docteur, bien que la jeune fille essaye de le maîtriser avec plus de talent que le praticien, continue de s'agiter et ses ruades continuent de faire refluer la foule. Un peu plus haut dans la rue, cependant, un petit groupe d'hommes, la poitrine barrée d'une écharpe rouge, est en train de séparer la foule.

Un peu plus bas, le masque a réussi à récupérer un flambeau dans la cohue. Le manche en bois poli se termine par une boule d'étoupe et la poignée est ornée de gravures religieuses. Plusieurs flambeaux sont tombés sur le sol et les gens se ruent sur ces objets, entre la panique et la volonté de les récupérer, une bagarre pourrait rapidement se déclarer...

Tenant toujours aussi fermement les rênes, je continue d'essayer de calmer la jument:

"On se calme ma belle! Tout doux!"

Je laisse faire Kalhan.

Le cheval n'est pas calmé mais il lui devient plus difficile de se débattre. La foule commence à s'écarter autour de lui sous la pression de la peur mais surtout du petit groupe qui l'organise parfois brutalement.

Plus bas dans la rue, quelques coups partent à présent. La foule reflue depuis l'endroit où le cheval se débat pour tomber sur un début de bagarre. La bousculade se transforme rapidement en un pugilat maladroit où chacun se débat pour éviter de tomber sur le sol ou sur une des mêlées qui s'étendent.

Voyant que mes admonestations, loin de calmer la foule, ne sont arrivées qu'à faire dégénérer la situation en foire d'empoigne, je baisse les bras, mi-désabusé, mi-blasé.

J'ai l'impression que cette procession va être "du feu de Dieu".

Le peintre prononce à peine ces paroles qu'un courant tente de l'emporter. Il est projeté contre un manteau sombre et rugueux, sent une chose molle contre son dos, se fait rudoyer... Il va devoir lutter pour se maintenir.

Morbleu ! Si je tiens celui qui a tenter de me faire tomber !

Et si je me retrouve à terre, je suis cuit...

Essayant d'embraser l'étendue de la bagarre, j'essaie de me rapprocher des chevaux afin de m'aider à me protéger du flot. Même le cheval du docteur me paraît préférable à la foule déchainée.

Au sommet de la rue, on entend un chant joyeux et terrible qui retentit et se répand de bouche en bouche.

si ambulavero in medio umbræ mortis, non timebo mala, quoniam tu mecum es

La lueur des bougies tremble mais les dizaines de flammes repoussent les ténèbres.

Au fond de la rue, le cheval roux est à présent au cœur d'un espace dégagé par les hommes en costume noir et le puissant étalon de la jeune fille qui n'a toujours ni bougé ni cillé, à peine soufflé profondément pour rappeler sa présence. La bête du docteur souffle elle aussi mais le mouvement de ses flancs est le seul qu'elle fasse encore, la tête baissée à hauteur de l'encolure, frissonnant.

Et misericordia tua subsequetur me omnibus diebus vitæ meæ

Le groupe qui tente de contrôler la foule comporte des hommes de tout âge, ils sont assez nombreux et portent es vêtements qui se ressemblent en apparence: de simples tenues noires, un chapeau à trois pointes et une écharpe rouge. De plus près, on voit les plumes, médailles et plaquent qui les parent.

La bagarre s'étend depuis la place et remonte la rue. Un brasier est tombé au centre de celle-ci. Il y a bien une trentaine de personnes qui se battent mais ceux qui cherchent à s'échapper sont au moins quatre fois plus nombreux. Pour l'instant, la mêlée s'épuise en bordure de la place et se brise contre le cercle qui commence à se créer autour des deux chevaux.

ut inhabitem in domo Domini in longitudinem dierum.

Voyant le cercle se former autour de moi, je m'adresse à eux sur un ton gêné:

"Merci messieurs. Mille excuses pour le grabuge que l'on cause. Il faut que l'on évacue la jument rapidement, la place vous semble t'elle sur?"

Le peintre se retrouve dans un bras de foule qui l'emporte loin de la bagarre mais se brise sur le grand étalon.

Avec le chant et les hurlements de la foule, il est difficile de percevoir les paroles de la jeune fille. Peut être qu'un des hommes en costume l'a vu, il échange quelques mot avec son voisin.

J'essaye de profiter de la proximité de l'étalon pour disposer d'un appui stable pour résister au mouvement de foule, en attendant une accalmie dans le flot de gens pour passer de l'autre côté du cheval afin de retrouver le reste du groupe.

Voyant que les hommes ne m'entendent pas, je leur fais signe que je me dirige vers la place puis tenant toujours fermement les rênes de la jument je m'y dirige.

Je suis Kasagh, en murmurant de plates excuses à la foule et aux gardes.

Et lux perpetua

Le chant continue de monter, repris par toutes les gorges. Ou presque.

Et Lux Perpetua

Le grand étalon tourne la tête un instant, voyant sa maîtresse approcher. Resserrant le cercle derrière elle, la bande assortie de rouge et noir fait mine de poursuivre le mouvement. Le grand étalon pousse alors un grand hennissement presque rythmé.

ET LUX PERPETUA

Un instant, la foule semble se figer, surtout la meute hurlante.

Le masque se tient sur le bord de la bagarre, il voit un bras de la foule devant lui qui monte se briser au grand étalon. A sa gauche, l'émeute, à sa droite, le peuple tente de se rassembler et mêle faiblement sa voix à l'hymne.

Derrière le masque, de petits groupes se forment, un peu en retrait, commentant la scène ou reprenant le chant.

Le grand cheval retombe sur le pavé. Il se met à avancer, indifférent à la foule qui s'écarte sauf pour balancer sa tête.
Le groupe d'homme qui déblayait la rue s'engouffre en partie dans la brèche et se rue sur la bagarre qu'ils dispersent à grands coups de pied.

Je continue à me diriger vers la place profitant de la brèche en plaçant une petite caresse sur le museau de la jument:

"Allez ma belle du calme. Soit gentille.

La situation semble s'éclaircir, les hommes, dans ce qu'on peut appeler un costume plus qu'un uniforme, continuent d'éclaircir la mêlée tandis que le grand cheval arrive sur la place.

Quelque peu protégé de la mêlée, je gratifie l'étalon d'un petit sourire : "Merci... Sans toi, je serais sans doute encore en train de valser au gré de la foule."

Je réajuste rapidement mes habits et, voyant le docteur et la jeune fille approcher, je les hèle : "Pas trop de soucis de votre côté ?"

Puis, légèrement inquiet : "Korail n'est pas avec vous ? J'espère qu'il n'a pas été piégé par la cohue !"

Le chant s'arrête mais la foule continue de participer à la cérémonie. Ce sont maintenant une suite de répons qui emplissent la grande coulée de lumière a travers la ville. Sans doute, sur la place, un religieux harangue la foule.

Je rejoins Gabriel, visiblement soulagé de sortir de cette mauvaise passe. De grosses gouttes de sueur perlent sur mon front, et mon visage a pris une teinte rouge sous le coup de la panique et de la honte d'avoir mis une telle agitation.

Non, je n'ai pas vu votre ami.

Je me tourne vers la foule en quête d'un signe du Masque.

J'espère qu'il va bien...

Vous êtes presque sur la place. La foule est plus clairsemée à présent. Un peu plus loin, la bagarre se résorbe, aidée par les hommes costumés. Certains sont encore autour de vous.

La prière continue de retentir dans la ville. Les cloches se remettent à sonner.